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Cécile
Donato-Soupama |
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L'atelier
de Cécile
Les
cheveux en bataille, la blouse imprégnée
d’innombrables
couches de peinture, Cécile est
debout
face au mur, le pinceau prolongeant le bras,
le regard
absorbé par une toile blanche punaisée sur un
panneau de bois assorti à la blouse.
Sur la table, des bols de pigments.
Le bras se lève, plonge dans la couleur et, d’un
geste
ample, précis et ininterrompu, le pinceau trace Notre imaginaire.
Alors surgit un ciel que Turner apprécierait,
un Paysage
Comme une estampe japonaise, une rivière qui se
Perd
Dans la forêt, vers une mystérieuse densité.
Les ocres, les bleus, les noirs, respirent.
Le rêve se dessine.
Mais, sous la quiétude vibre une force
Impressionnante.
Des orages, des colères, des révoltes.
Sa liberté.
Martine
Peccoux, fotografo |
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Un
sceau rouge trouve sa place au sein d’une
surface où des palpables et silencieux pigments nous conduisent
à l’écoute d’une profondeur immatérielle
: épurée dans ses lignes et essentielle dans la saturation
de la couleur, la peinture de Cécile Donato Soupama est prête
à nous accueillir. Elle naît de ce paradoxe et y retrouve
sa force, sa puissance évocatrice et son mouvement perpétuel.
Le paradoxe d’une artiste dont la voix se laisse entendre
malgré son silence, sans qu’aucun signe ne la précède
ou ne l’explique, tantôt délicate comme une harmonie
lointaine, perdue dans un univers archaïque et immobile, tantôt
violente, surgissant de l’énergie collective d’un
présent encombrant et multiforme. Le paradoxe d’une
peintre dont on perçoit l’âme par le geste, l’intériorité
par le corps, le plus complexe par le primaire, l’immatériel
par l’acte physique, concret, de la peinture. Le sceau participe,
lui-même, de cet oxymore car il est au même temps la
conclusion du travail et le début d’une vie nouvelle
pour le tableau, l’affirmation identitaire de son créateur
et la possibilité, pour ceux qui le regardent, de s’en
approprier. Cécile lui choisit, à chaque fois, son
espace dans le dessin et nous signale, ainsi, qu’il n’est
pas placé par hasard, qu’il fait partie de la composition
; c’est à travers lui qu’elle s’identifie
et signe son tableau pour qu’il puisse vivre sa vie, finalement
autonome après un baptême tracé en carré
rouge. Emprunté à une culture étrangère,
ce sceau devient, enfin, l’indice d’un passage et de
la rencontre avec un savoir millénaire dont Cécile
s’est longtemps nourrie. Il nous renvoie les échos
de l’art de la calligraphie chinoise, bien visible dans les
œuvres appartenant à la première des trois phases
exposées. Cette phase, qui date de la rentrée du peintre
de Chine, marque une sorte de découverte d’elle-même,
de maturité acquise dans la solitude méditée,
comme si avant le déplacement géographique et culturel,
elle n’existait que par l’intermédiation des
autres. Grandie dans un milieu artistique et culturel européen,
Cécile éprouve, en fait, au début de sa carrière,
l’exigence d’un engagement politique direct à
travers la peinture et fait de la parole, insérée
dans le tableau, le véhicule primaire de sa dénonciation.
Elle ne tarde pas, pourtant, à se débarrasser du masque
communautaire de l’idéologie partagée pour centrer
sa recherche sur la prise de conscience individuelle. Le dépaysement
est à la base du changement et la Chine, bien loin de l’exotisme
facile et d’une démarche esthétisante, se manifeste
en tant que révélation. La leçon de Shitao,
la découverte de Fabienne Verdier et l’immersion dans
la nature à son retour en Europe permettent à Cécile
de commencer à se positionner, à se recentrer sur
le geste primaire de la peinture, « l’unique trait du
pinceau », en abandonnant l’exigence de se justifier
par la revendication sociale. Cécile n’utilise que
des matériaux rudimentaires et organiques qui naissent de
la nature et qui en gardent la vie secrète. Elle fabrique
de ses mains un mélange de pigments purs et d’huile
ayant les couleurs de la terre et la consistance discrète
de la poudre: par des gestes savamment répétés
elle mêle et juxtapose sa matière et ainsi faisant
elle multiplie l’épaisseur de ses toiles brutes, leur
donne le mouvement, crée une lumière palpable et poussiéreuse,
laisse traîner des ombres et marque des traces subtiles. Il
reste encore des signes graphiques parsemés sur des couches
de pigments aux couleurs délicates, parfois translucides
grâce au vernis qui joue partiellement le rôle évocateur
des mots. Les éléments semblent s’effleurer,
le liquide s’alterne au terrien et dilue la corporéité
organique des pigments, un feu discret allume les marées
basses de la matière et il réchauffe l’abstraction,
et pourtant, de tout cela, à nos regards attentifs, il ne
reste que le souffle aérien : toutes les nuances, pourtant
présentes et solides, tendent à disparaître
dans l’impalpable, dans le mouvement du vent. Mais, pour que
l’expression visuelle laisse sa place aux entrailles et à
l’émotion primaire, il faut un énorme courage
et il faut encore attendre : c’est ainsi que s’ouvre
la deuxième phase de l’exposition, une période
de transit, où le corps est là, latent, et il n’attend
que sa découverte. Au cours de cette époque charnière,
la parole essaie de disparaître pour laisser sa place au silence.
La solitude maîtrisée et le rapprochement à
l’immensité de la nature, dans un isolement voulu au
cœur de la Sicile, semblent pouvoir permettre ce passage. Les
graphismes se font de plus en plus rares, le trésor de Chine
s’exprime dans le geste plutôt que dans le résultat,
la couleur amplifie sa portée et sa profondeur se manifeste
en dépit de l’absence de toute perspective et de tout
volume recréé. Ces passages, que l’on a regroupés
et distingués pour qu’ils soient compréhensibles,
en réalité ne font qu’un. Car toute transformation
n’existe que dans la continuité et chaque évolution
se relie à sa genèse: c’est ainsi que les toiles
de Cécile, tout en plongeant dans une troisième dimension
et en se rapprochant du transcendant, reviennent à la réalité
et que l’énergie cachée du peintre se permet,
finalement, d’exploser. Les deux périodes d’intériorisation,
liées au dépaysement géographique et culturel,
à la solitude et à la prise de conscience de soi,
s’ouvrent à la violence d’un retour en France
qui est aussi, parallèlement, le retour à la confrontation
avec la sociabilité. Pas de mots, pas de sons, pas de transparences
descriptives dans cette volonté de s’exposer, nue et
muette, à la folie de la vie, du mouvement, du bruit. Et
le noir éclate, saturé, plein, somme de couleurs aveuglées
dans l’élan physique et émotionnel qui donne
à la peinture, privée de ses signifiants verbaux,
la force archaïque de l’oracle. Que reste-il de l’engagement
social de l’adolescence ? Une constante, probablement: le
rejet de tout embellissement par les fausses patines des produits
chimiques, le refus de l’artificiel et de l’acrylique,
des lueurs d’une culture pop qui nous renvoie l’image
de notre dégradation à travers le jeu des simulacres
et la perte du sacré. Car si elle refuse l’artificiel
ainsi que la gratuité de l’abstraction intellectuelle
ce n’est pas pour se réfugier dans les lignes rassurantes
d’un nouveau réalisme figuratif ni pour crier à
haute voix des sons sourds retentissant l’idéologie,
mais pour récréer le réel, en faire vision
et rêve, trouver un verbe poétique visuel qui sache
se passer des mots et de la représentation, qui ait le courage
de suffire à lui-même pour s’ancrer, finalement,
au sacré de la terre et aux instances primaires. C’est
alors qu’un sceau rouge carré peut rentrer, en mise
en abyme, dans le cadre et nous conduire, et le tableau avec nous,
au cœur même de la vie.
Francesca
Dosi, Théorie de l’esthétique. |
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Travail
de la matière… Le grattage, l’effacement, le
tracé, les surfaces d’inscription.
Un mot, des bribes, des phrases qui ensembles cherchent un sens,
une cohérence et font surgir une préoccupation,
celle de l’individu. Sa dimension humaine et son altérité.
Les peintures ont une volonté de mémoire, d’être
témoin «mémoire active».
Celle qui nous force à être vigilant, conscient,
attentif.
Un dialogue entre l’image et l’écriture, l’illisible
et le lisible, la peinture et le mot.
L’abstrait: champ de traits, de lignes, de figures qui se
recouvrent se découvrent. L’expression subjective
et individuelle d’une sensibilité personnelle de
l’autre, de l’environnement...
Et le concret: le mot, sa définition comme parole collective
celle qui nous renvoie à la réalité, au sens
objectif, impersonnelle et commun.
La dualité non-sens/sens, inconscience/conscience, une
coexistence dans un état de tension bien cerné par
le cadre. Où des effets, des échos, des associations
permettent une lecture…
Biffer:
rayer d’autorité (ce qui est écrit) pour supprimer.
V. barrer, raturer, rayer.
Lexis: énoncer considéré indépendamment
de sa vérité.
Lexies: toute unité du lexique, mot, expression.
Voir l’invisible, le rendre visible et lisible.
Tout blanc, aucune trace, lieu de trou de mémoire au plus
profond de l’inconscient.
Architecturer les mots. Va et vient entre l’écriture
et l’image, où est l’origine?
Est-ce des images ou des écrits? La mémoire est
dans tout cela. «S’acheminer vers la pensée
visuelle» Pierre Ley.
Étroitement
Intimement
La phrase lentement
Inexorablement
S’efface.
Ne laisse qu’une trace, plus qu’un signe. Elle devient
ligne dans sa liberté et son espace.
S’agrandissant, comme un besoin, elle se guide au gré
de son inspiration.
Aussi croire que la réalité doit être lisible
et clair c’est de la propagande. Il n’y a rien de
visible immédiatement. Que des slogans affirmatifs et simplistes.
Propagande: une idée, un discours basique, affirmatif,
manichéen qui généralise. Pas de contradiction,
simplement des contraires.
La propagande ne connaît pas la nuance, prétend que
le monde est unilatéral.
La connaissance n’intéresse pas la propagande, cette
dernière préfère agir et manipuler.
Quand il y a disparité, effacement. Illisible parce que
transformation, détournement sans devenir un slogan.
Cette démarche picturale n’est aucunement propagandiste,
c’est introduire des nuances.
Le souci de subtilité évite la haine.
Nul besoin d’être intégriste pour penser.
Revendiquer ce décalage.
L’idée de temps qui conjugue l’ordre et le
désordre.
Un aménagement chaotique, ne cernant pas le sens immédiat.
Une image
Une idée
Un propos
Un mot qui fait désordre, mais en même temps fonctionne
comme une révélation.
Un Arrêt sur image.
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Palimpsestia
sono
Imaginez
un instant le travail, si on vous demande de répéter,
de re-dire tout ce que l’on raconte à longueur de
journée sur les mêmes choses. C’est tout simplement
impossible.
Un mot pousse l’autre, le recouvre.
C’est un dialogue sans fin.
La peinture est un champ de traits, de lignes, de figures qui
se découvrent et se recouvrent.
Le principe du Palimpseste.
Il y a d’abord les mots qui viennent
Facilement
En même temps que le travail
Ou tout de suite après.
Des mots familiers, des mots faciles.
Ils sont sans prétention:
Recouvrement, perte, superposition, accumulation, sensibilisation,
trop de bruit, trop d’actualité
Image, fascination, voix, visages…
Et esprit critique, comment donner du sens?
Comment se construire, se retrouver?
Qu’est-ce l’individu?
Sans prétention théorique…
Puis il y a ceux qui prennent du temps, beaucoup plus de temps,
de peine, qui ne peuvent se faire en même temps qu’autre
chose:
Bribes de discussions, de lecture, fragments, trouble des questions
gênantes, de celles sans réponse.
Doutes, doutes, doutes.
Et des silences.
Être un autre, plusieurs autres, traquer les signes, les
indices, les intuitions, les échos les associations.
Fouiller au plus profond de sa mémoire
Et tenir un discours intelligible.
De toute façon,
Chacun y verra par sa propre conscience
Toujours autre chose.
Le principe du palimpseste.
Palimpseste:
Parchemin manuscrit dont on efface la première écriture
pour pouvoir écrire un nouveau texte.
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«Mon
compte reste ouvert avec Cosa nostra. Je sais que je ne le solderai
qu’avec ma mort, naturelle ou non». Giovanni Falcone.
Le
23 mai 1992 près de Palerme
Une Femme
Un Homme
Des Hommes
Ferment les yeux à jamais
L’air était frais
Mais déjà, l’été, sicilien n’était
pas loin
Les plaines sont vertes
Des champs immenses comme des toiles.
«Testament
d’une démocratie moribonde»
Un
travail
Comme pour créer un espace
Des espaces.
Un espace de paroles
Un espace de temps
Pour s’arrêter
Un moment.
Un espace visuel
Dialogue des mots entre eux et avec les figures.
Contre les dialogues de sourds
Avec tous les regards.
Un espace contre les enfermements
Des cris.
Pour ne plus tourner en rond
Un espace de rencontre.
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